Posté : 10 avr. 2010, 16:34
par Maxime
ASSEMBLEE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIEME LEGISLATURE
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COMPTE RENDU INTEGRAL
Première séance du mercredi 7 avril 2010
Rénovation du dialogue social dans la fonction publique
Motion de renvoi en commission du groupe GDR
Jacqueline Fraysse, députée des Hauts de Seine
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la fonction publique constitue aujourd’hui, à en croire toute l’attention qui lui est portée, un grand sujet de préoccupation pour le Gouvernement : celui-ci intervient en effet dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la modernisation de la fonction publique, de la révision générale des politiques publiques ou, maintenant, de la rénovation du dialogue social dans la fonction publique.
Il est vrai qu’à entendre le Gouvernement, on pourrait croire que derrière ces mots et à la suite de chacune de ces annonces se bâtit une nouvelle ère, faite de dynamisme et de modernité pour la fonction publique. Mais il ne faut pas se laisser bercer par la magie des mots, car les faits sont tout autres. Il y a d’abord votre décision de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant en retraite, ce qui conduit à une réduction drastique et très préjudiciable des effectifs, dont les effets se font sentir quotidiennement auprès de nos concitoyens, mais aussi dans les conditions de travail des fonctionnaires.
Il y a ensuite le mépris que vous affichez à leur égard, par des pratiques inqualifiables qui illustrent d’ailleurs davantage votre faiblesse que votre détermination. Certes, nous nous réjouissons des avancées importantes obtenues par les syndicats lors de la négociation des accords de Bercy et qui sont, pour l’essentiel, retranscrites dans le présent projet de loi.
La place reconnue à la puissance publique en France a toujours justifié la prédominance du principe hiérarchique dans son organisation et le contenu du statut des fonctionnaires, dont les missions sont spécifiques. Les règles du dialogue social ont été conçues comme un compromis visant à contrebalancer une subordination statutaire rigide par une consécration des garanties individuelles et collectives des fonctionnaires.
Ce choix, qui a ses avantages, notamment en matière de carrière, d’égalité de traitement et de stabilité de l’emploi, a malheureusement empêché le développement dans le secteur public d’une véritable culture de négociation sur les conditions de travail, lesquelles, avec votre politique dogmatique de réduction des effectifs et la maigreur des moyens alloués à la formation et au renouvellement des outils de travail, se sont profondément dégradées.
Si des accords partenariaux existent, ils ne sont, à ce jour, pas véritablement opposables par les fonctionnaires, dont la situation relève du règlement. Cela entraîne, comme le soulignait le rapport Chertier en 2006, une « conflictualité devenue éruptive » et pèse sur les relations sociales dans tout le pays. Il est donc impératif d’aller plus loin, en créant les conditions d’une meilleure maîtrise par les fonctionnaires de leurs conditions de travail, à l’image de ce qui s’est fait dans d’autres secteurs.
De ce point de vue, nous apprécions, par exemple, que vous entendiez généraliser la logique de l’élection aux organisations syndicales de fonctionnaires. Les élections aux comités techniques associeront l’ensemble des personnels titulaires et contractuels. Leurs résultats serviront de base au calcul de la représentativité syndicale, pour que la voix de chacune et chacun soit prise en compte à tous les niveaux.
Prévue dans le statut de 1983, mais supprimée par une majorité parlementaire semblable à celle d’aujourd’hui, la création d’une instance de dialogue social commune aux trois fonctions publiques, longtemps attendue, constitue également un progrès appréciable. Les trois versants de la fonction publique étaient auparavant déconnectés au moment des négociations, alors qu’ils faisaient face aux mêmes enjeux. Il était donc indispensable qu’une instance les réunissant leur permette de dialoguer autour de la même table.
Il faut aussi saluer la reconnaissance des compétences acquises dans l’exercice d’un mandat syndical au titre des acquis de l’expérience professionnelle. Les formations reçues et les actions menées dans le cadre des activités syndicales constituent indubitablement des savoir-faire et des connaissances susceptibles d’être un « plus » pour les pratiques professionnelles. Elles s’inscrivent donc désormais dans l’évolution des carrières et auront pour effet de les conforter, ce qui, je l’espère, encouragera l’engagement des agents dans la vie syndicale et dans le mouvement social.
Cependant, ces avancées ne sauraient faire oublier une régression importante : un pas en avant, deux pas en arrière. Le relevé de décisions des accords de Bercy parlait d’une évolution du paritarisme. Or cette évolution s’est transformée en une suppression totale, tout à fait dommageable, de celui-ci, ce que les syndicats n’ont évidemment pas approuvé. En effet, au travers de ce texte, le Gouvernement supprime le paritarisme au niveau des comités techniques paritaires, des conseils supérieurs, ainsi que dans l’instance commune à ces trois conseils supérieurs. La rénovation du dialogue social dans la fonction publique risque donc de commencer par un dialogue de sourds, ce qui est bien dommage.
L’exposé des motifs du projet de loi parle de « tournant historique » de « consensus sans précédent », de « modernisation profonde », d’une « nouvelle ère de la démocratie sociale », autant d’envolées verbales qui cachent mal la réalité de votre acharnement à démanteler la fonction publique, à dévaloriser et à mépriser ses agents, comme en témoigne l’introduction, au dernier moment, de la lettre rectificative.
Avec le texte ratifié le 2 juin 2008 par la majorité des syndicats, vous auriez pu vous féliciter d’avoir obtenu sinon l’unanimité, au moins un large soutien sur les bancs de cet hémicycle. Vous avez fait un autre choix, celui d’utiliser ce véhicule législatif en anticipant à la fois sur la réforme des retraites et sur le dossier de la pénibilité, afin de porter atteinte aux droits des personnels des établissements publics de santé. Bien évidemment, ceci remet en cause l’économie globale du projet de loi, ainsi que l’approche que nous en avions.
Par lettre rectificative du Premier ministre, adoptée en conseil des ministres le 23 février dernier, un article 30 a été ajouté à ce projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique.
Cet article est hors sujet. Que viennent faire des dispositions statutaires concernant les professions paramédicales dans un texte qui organise le dialogue social dans la fonction publique ?
Cet article est également « hors sol », si je puis dire : pourquoi ne pas attendre les négociations sur la pénibilité et sur les retraites, menées pour l’ensemble des salariés, qui devront de toute façon déboucher sur des textes de loi ? Pourquoi exclure certaines professions du dispositif – les infirmières scolaires, par exemple – et traiter séparément, avec tant de précipitation, le cas d’autres corps de la fonction publique hospitalière ? Pourquoi ne pas mener une réflexion plus globale à partir des conclusions à venir du rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la formation des auxiliaires médicaux ?
La réponse est simple : vous voulez imposer les mesures injustes sur lesquelles vous savez que vous n’obtiendrez pas d’accord par le dialogue social.
Et pour cause : l’article 30, intitulé « Dispositions diverses relatives à la fonction publique », est présenté comme la traduction législative du protocole d’accord « Négociations statutaires dans la fonction publique hospitalière » du 2 février dernier, sous-entendant que ce protocole aurait été validé par les syndicats. Or toutes les organisations représentatives – je dis bien toutes – se sont prononcées contre son volet salarial. Ce protocole n’a été signé dans son intégralité que par le Syndicat national des cadres hospitaliers, un syndicat ultra-minoritaire que vous avez pris soin « d’inviter » aux négociations et qui, en tant qu’invité, a pris part au vote – un vote qui, comme par hasard, est le seul dont vous tenez compte !
Cet article 30 est une véritable provocation, car non seulement il constitue un déni de la réalité des négociations, mais il entre en parfaite contradiction avec le texte dans lequel il a été inséré. Je rappelle que celui-ci consacre le principe majoritaire, principe selon lequel, pour être valable, un accord doit être signé par 50 % au moins des organisations syndicales représentatives.
Le groupe GDR a reçu, il y a peu, des représentants des professionnels concernés. Le mouvement qu’ils ont entamé est profond, large et soutenu par les usagers. Cependant, vous refusez toujours de les entendre. Tous ont insisté sur le mépris avec lequel ils sont traités au sujet de ce dossier.
Obligation d’adhérer à un ordre professionnel qu’ils rejettent, non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, dégradation des conditions de travail et, à présent, remise en cause des droits acquis en matière de retraite : l’exaspération est à son comble chez les professionnels, et je les comprends. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant d’assister à une crise des vocations dans les corps de métiers concernés.
Infirmières et infirmiers spécialisés, aides-soignants, rééducateurs, diététiciens, masseurs kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens : toute la filière soignante et de rééducation – c’est-à-dire le personnel non médical des hôpitaux – relève actuellement de différents corps appartenant à la catégorie B de la fonction publique. Il est clair que le niveau actuel de leur rémunération est très insuffisant compte tenu à la fois de leurs diplômes – bac + 3, voire + 5 et + 6 pour les plus spécialisés –, de leurs qualifications, du caractère hautement technique de certaines de leurs missions et des responsabilités qu’ils assument et qui pèsent sur eux.
Ainsi, une infirmière diplômée d’État gagne 1 584 euros nets par mois en début de carrière et 2 499 euros en fin de carrière, soit un salaire supérieur au SMIC de 11 % contre 24 % en 1986... C’est dire à quel point la revalorisation de ces métiers est nécessaire et juste !
Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était candidat à la présidence de la République, s’était adressé en ces termes aux infirmières, dans un courrier daté du 2 mai 2007 : « Je mesure la pénibilité croissante de vos conditions de travail, en ville comme à l’hôpital, de même que la contribution irremplaçable des infirmières et infirmiers au bon fonctionnement de notre système de santé et à la permanence des soins. »
Vous-même, madame la ministre, avez déclaré il y a peu : « Les compétences que les personnels ont en propre et les responsabilités qui leur incombent tout au long de leur carrière méritent d’être pleinement reconnues, tout comme leur place au cœur de notre édifice de soins », avant d’annoncer une revalorisation « d’une ampleur inégalée ».
Mais que reste-t-il de tous ces beaux discours sur le dévouement et le professionnalisme des salariés lorsqu’on analyse vos actes de plus près ?
Le protocole d’accord prévoit la création d’un nouveau corps des infirmiers, classé en catégorie A, et bénéficiant d’une nouvelle grille indiciaire. Nous y sommes bien sûr favorables : c’est légitime compte tenu des éléments que je viens d’évoquer. La revalorisation salariale liée au changement de statut de la catégorie B à la catégorie A est prévue pour janvier 2011.
Mais que dire des chiffres annoncés en commission des affaires sociales concernant l’augmentation effective des salaires ? Erreur ? Tromperie ? En tout cas, ils sont d’ores et déjà contestés par les premiers intéressés. À partir de 2015, les infirmières devraient être augmentées « de 2 000 euros nets par an en début de carrière, et de près de 4 000 euros en fin de carrière », dites-vous. Mais il n’a pas été précisé que ces sommes correspondent à la création de trois nouveaux échelons que personne n’aura sans doute atteints en 2015... Ainsi, dans cinq ans, il faudra encore attendre neuf ans pour espérer obtenir l’augmentation promise. En résumé, vous dites aux professionnels concernés et à leurs familles que dans quatorze ans, peut-être, ils bénéficieront d’une augmentation de revenus correspondant à leur niveau de diplôme et de qualification.
Et je ne parle pas des inégalités entre les différentes spécialités. Pourquoi ceux qui ont fait la formation la plus longue seront-ils moins augmentés que les autres ? C’est par exemple le cas des puéricultrices ou des infirmiers anesthésistes. Ces derniers cumulent d’ailleurs les injustices : avec un niveau d’étude à bac + 5, ils sont reconnus au niveau d’une licence au lieu d’un master. Déjà classés en catégorie A, vous leur proposez, pour seule évolution, la perte de leurs acquis relatifs à l’exercice en catégorie active et une revalorisation inférieure à celle des autres professions.
À ces chiffres fantaisistes, qui ne trompent pas les professionnels, s’ajoute l’inadmissible et dégradant chantage auquel vous vous livrez.
Vous exigez en effet une contrepartie à cette juste revalorisation : le passage de ce nouveau corps de la catégorie « active » – avec possibilité de départ à la retraite à 55 ans – à la catégorie « sédentaire » – avec départ à la retraite à 60 ans et une limite d’âge portée à 65 ans.
Les nouveaux fonctionnaires qui obtiendront leurs diplômes à partir de 2012 passeront automatiquement en catégorie A et seront directement soumis à ce régime.
Pour les personnels en poste, un droit d’option sera ouvert. Ils devront choisir entre le maintien dans l’ancien corps, ce qui revient à renoncer à la revalorisation qui leur est due, et l’intégration dans le nouveau corps, ce qui revient à renoncer aux droits qu’ils ont acquis au cours de leur carrière en travaillant auprès des patients.
Exit alors la possibilité de bénéficier du départ en retraite à 55 ans, pour 15 ans en catégorie active ou parce qu’ils ont exercé dans un corps dont l’âge de départ était de 55 ans.
Exit la majoration de durée d’assurance d’une année par période de dix ans passée en catégorie active prévue par la loi Fillon de 2003.
De surcroît, ils seront sommés de réfléchir vite puisqu’ils n’auront que six mois pour choisir entre la peste et le choléra. C’est du jamais vu ! Lorsqu’il a été proposé aux instituteurs de devenir professeurs des écoles, ils ont pu bénéficier d’un droit d’option ouvert à vie.
Ce n’est pas seulement un marché de dupe : c’est un chantage qui ne vous honore pas et qui laisse entrevoir à tous les agents la manière dont vous appréhendez la pénibilité, voire la souffrance, qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur profession. À l’aube d’une réforme globale des retraites, cette conception nous paraît inquiétante.
Tout se passe comme si le passage en catégorie A faisait disparaître la pénibilité reconnue lors de l’exercice en catégorie B ! On croit rêver !
Vous considérez par ailleurs que l’on peut compenser la fatigue et les effets néfastes de conditions de travail difficiles par de l’argent. Mais c’est faux. Aucune revalorisation salariale ne peut effacer les préjudices de santé liés au travail.
Comment peut-on justifier une telle mesure lorsque l’on sait que, selon les données de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, une infirmière sur quatre est en invalidité au moment de son départ à la retraite et 30 % des aides-soignantes sont en invalidité autour de l’âge de 48 ans ?
Ne pas reconnaître le caractère pénible de ces professions qui doivent assurer un service continu, de jour et de nuit, avec de surcroît des conditions d’exercice qui se dégradent tous les jours, est complètement irresponsable. Non seulement les services sont en sous-effectif permanent et les personnels en congé ne sont pas remplacés, ce qui augmente la charge de travail, mais on demande aux personnels non médicaux de faire des gestes nouveaux dans des domaines parfois très pointus, comme l’anesthésie, sans formation spécifique et à la limite de la légalité, sans bien sûr la rémunération qui en découle.
Avez-vous déjà entendu parler du burn out, dans les services ? Connaissez-vous les situations d’épuisement émotionnel, jointes au faible sentiment de compétence et de reconnaissance de l’effort accompli dans le travail ? Nous en doutons.
Toutes ces décisions concernant les fonctionnaires sont graves pour eux et ont un impact sur la qualité des soins. À l’hôpital Trousseau par exemple, le manque d’effectifs et le rythme effréné imposé aux personnels empêchent l’accueil personnalisé des familles dont les jeunes enfants souffrent de maladies très graves mettant en jeu le pronostic vital. Un professeur me disait récemment que cela déshumanisait la prise en charge. Que deviendra l’excellence de l’AP-HP avec 4 000 postes en moins comme vous tentez de l’orchestrer ?
Lorsque vous attaquez les agents de la fonction publique, c’est le service public que vous mettez en cause en dégradant les conditions d’accueil et la prise en charge des patients, au risque de porter atteinte à l’accès aux soins pour tous, et donc à l’intérêt général.
En outre, avec les mesures que vous préconisez, vous prenez à ces personnes ce qui leur reste après la vie professionnelle. La moyenne d’âge du départ en retraite chez les infirmières est actuellement de 56,7 ans. Compte tenu de la pénibilité, qui s’accentue, beaucoup ne pourront atteindre l’âge ouvrant droit à une retraite à taux plein. Le montant de leur pension en sera abaissé d’autant.
Enfin, s’ils ne sont pas tout à fait convaincus de votre cynisme, je conseille aux citoyens et professionnels de regarder attentivement l’étude d’impact qui accompagne ce texte. Selon cette étude fournie par le Gouvernement, l’impact financier de la réforme indiciaire et du classement en catégorie A serait de 100 millions d’euros en 2011 et de 200 millions en 2012. Quant aux « effets retraite » de cette réforme, les économies attendues pour la CNRACL seraient de 90 millions en 2011, de l84 millions en 2012 et de 439 millions en 2015. Autrement dit, la remise en cause de la pénibilité financera la revalorisation salariale annoncée. Les fonctionnaires payeront eux-mêmes leur augmentation de salaire par la baisse de leur pension de retraite !
Je ne suis pas une adepte des excès de langage, mais je dois dire qu’avec cet article 30, vous atteignez le paroxysme du mépris, tant sur la forme que sur le fond. C’est une honte. Ce sentiment est très largement partagé par la profession si j’en juge par les milliers de pétitions que nous avons recueillies et que nous sommes chargés de vous remettre. Vous devez mesurer à quel point ces salariés sont outrés par le marché de dupe qui leur est proposé et la façon dont il a été introduit dans le présent texte.
Vous dites, madame la ministre, que vous négociez depuis plusieurs années et que vous vous félicitez de l’approbation de la profession. Nous ne devons pas voir les mêmes professionnels : ceux que nous avons rencontrés non seulement ne sont pas d’accord, mais sont outrés par vos propositions.
La manipulation et la remise en cause des acquis des personnels non médicaux n’ont rien à faire, en tout état de cause, dans un texte sur le dialogue social dans la fonction publique.
C’est donc pour supprimer l’article 30 que nous demandons le renvoi en commission de ce projet de loi.