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TITRE : Les anesthésistes opposés à la "sédation" par des non-spécialistes pour certains actes invasifs
(Par François BOISSIER et Valérie VAN DEN BOS)
PARIS, 14 avril 2011 (APM) - Des recommandations en préparation qui permettraient de réaliser certains actes invasifs, notamment en endoscopie digestive, en faisant une "sédation" sans avoir recours à une équipe spécialisée d'anesthésie-réanimation, suscitent l'opposition des représentants des anesthésistes.
Le syndicat représentatif des médecins anesthésistes-réanimateurs du public, le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (SNPHAR-E), a réagi lundi dans un communiqué contre une "anesthésie Canada Dry*" qui risque d'induire une "sécurité Canada Dry*".
"Suffit-il de transformer le nom de l'anesthésie et de la dénommer sédation pour en supprimer les risques? Alors que chaque vrai professionnel sait que ces anesthésies sont souvent susceptibles de se compliquer, certains spécialistes se croient capables de mener en même temps l'anesthésie et la coloscopie", a ajouté le SNPHAR-E.
Il a renchéri mardi dans un communiqué commun avec le Syndicat national des anesthésites réanimateurs de France (Snarf), représentant les anesthésistes-réanimateurs libéraux, faisant part de "leur profonde inquiétude" et de leur opposition. Le Syndicat national des infirmiers anesthésistes (SNIA) a diffusé un communiqué similaire.
Une information mise en ligne à la mi-février par la Société française d'endoscopie digestive (Sfed) est à l'origine de la grogne des anesthésistes.
La société savante a rapporté l'émission fin novembre 2010 de recommandations formalisées d'experts (RFE) sur la "sédation par des non-anesthésistes pour des actes invasifs, au premier rang desquels l'endoscopie digestive" dans le cadre d'un "projet sous l'égide de la HAS, coordonné par la Sfar [Société française d'anesthésie et de réanimation] et auquel participaient la Sfed ainsi que la SNFGE [Société nationale française de gastro-entérologie]".
"La finalité de ce travail est de faciliter l'accès à la sédation pour nos patients dans les centres qui ne peuvent pas avoir recours à une équipe spécialisée en anesthésie-réanimation", précise la Sfed.
D'AUTRES ACTES INVASIFS CONCERNES EN DEHORS DE LA GASTROENTEROLOGIE
Ces recommandations, qui sont élaborées avec la Sfar, concernent principalement l'endoscopie digestive, qui représente environ 20% de toutes les anesthésies en France. Mais d'autres actes invasifs seraient aussi concernés. Il a précisé que la Fédération de radiologie interventionnelle (FRI), la Société française de dermatologie (SFD), la Société française d'ophtalmologie (SFO) et la Société de pneumologie de langue française avaient également participé aux travaux, a-t-on appris auprès de la Sfar.
La sédation faite sans spécialiste d'anesthésie serait possible pour un niveau 1 ou 2 (sédation légère à modérée) avec le midazolam ou le propofol. Elle ne serait pas faite par le médecin pratiquant l'endoscopie ni par le personnel paramédical impliqué dans l'acte endoscopique, mais par un autre intervenant paramédical. Celui-ci, comme l'endoscopiste, devraient avoir reçu une formation spécifique.
Ces recommandations françaises sont globalement superposables à celles émises en 2010 par des sociétés savantes européennes en gastroentérologie, endoscopie et anesthésie, même si elles ne concernent que le propofol. Elles doivent cependant être "validées par les autorités compétentes" car "si la partie médico-scientifique semble gagnée, la partie politique ne fait que commencer!", commente la Sfed.
Ces recommandations ne concernent que des situations "à la marge, dans moins de 1% des cas", dans des endroits où il n'y a pas d'anesthésiste et pour les patients ne présentant pas un état grave devant faire l'objet d'une gastroscopie, d'une coloscopie ou de certains autres actes simples, a indiqué à l'APM le Pr René Laugier, qui a présidé la Sfed jusqu'à la mi-mars.
"On ne veut pas que les anesthésistes s'imaginent qu'on va se passer d'eux", a-t-il ajouté.
Cela fait une dizaine d'années que les gastroentérologues essaient de discuter sur le sujet avec les anesthésistes. Jusqu'à présent, la Sfar a toujours opposé son veto. Mais il y a eu deux éléments récents, un problème de démographie médicale en anesthésie et une augmentation du nombre d'actes d'endoscopie digestive réalisés sous anesthésie, a rapporté René Laugier.
Le spécialiste a souligné que le travail n'était pas terminé. "Un accord de principe" a été trouvé. Il reste à l'ensemble de la Sfar à l'accepter, puis à résoudre des questions de responsabilité professionnelle avec les assureurs pour les gastroentérologues et à "lever les verrous" au niveau ordinal, a-t-il ajouté.
Suite aux nombreuses demandes des gastroentérologues, la Sfar a accepté de participer au groupe de travail mis en place "il y a un an ou deux", sous l'égide de la HAS. Toutefois, la HAS n'intervient pas directement sur le contenu des recommandations mais donnera à la fin son label, si les modalités d'élaboration ont respecté son cahier des charges.
LA SFAR A PARTICIPE MAIS N'A PAS VALIDE LE TEXTE
"Le travail scientifique a été fait. Mais le document de travail n'a pas été validé par la Sfar. Il n'est pas recevable politiquement. Les niveaux de preuves ne sont pas très forts", a indiqué à l'APM le président de la Sfar, le Dr Laurent Jouffroy. Il y a même, au niveau européen, une remise en question, une volonté de revenir en arrière sur les recommandations émises, ajoute-t-il.
Le spécialiste réfute l'argument démographique concernant les anesthésistes. Il n'existe aujourd'hui qu'un "petit déficit". La catastrophe a été évitée grâce à l'anticipation. Le vrai problème concerne "le défaut d'organisation dans les hôpitaux, un manque de gestion saine des ressources humaines et matérielles".
Il faudrait aussi d'abord pouvoir avoir des chiffres précis sur la "réalité du problème", savoir "combien d'équipes sont actuellement en difficultés". "Le souci de certains spécialistes de pouvoir s'autonomiser" n'est pas la meilleure solution, a ajouté le président de la Sfar.
Interrogée par l'APM, la présidente du SNPHAR-E, Nicole Smolski, a expliqué son opposition par le fait que même chez des patients en bonne santé, des complications peuvent survenir. Ce type d'anesthésie reste "très casse-gueule", a-t-elle commenté en évoquant le cas très médiatisé du décès du chanteur Michael Jackson alors qu'une surdose de propofol lui avait été donnée.
"Trouver la bonne dose pour permettre au patient de dormir sans arrêter de respirer" est difficile car cette dose peut varier de façon très importante d'une personne à l'autre. De plus, "si le patient arrête de respirer, on [les anesthésistes] sait faire".
"Nous ne défendons pas un pré-carré", a affirmé Nicole Smolski en soulignant le fait que, d'une part, les praticiens hospitaliers du SNPHAR, étant salariés, n'ont aucun intérêt financier, d'autre part "l'anesthésie pour l'endoscopie n'est pas passionnante, c'est de l'abattage", mais c'est "nécessaire pour la sécurité des patients".
Dans un autre communiqué, le syndicat des infirmiers anesthésistes a mis lui aussi en avant la question de "la sécurité et la qualité des soins" et la nécessité d'avoir "un personnel compétent et expérimenté". "Les personnels spécialisés en anesthésie sont les seuls professionnels à posséder le 'background' nécessaire à la gestion des complications pouvant survenir".
Le SNPHAR-E estime que "l'anesthésie est vécue par certains confrères comme une contrainte, obligeant à une organisation collective". La présidente du SNPHAR-E a indiqué à l'APM qu'en pratique, il peut y avoir des désaccords entre les endoscopistes et des anesthésistes sur les indications de l'endoscopie.
"Et si l'anesthésie était le dernier garde fou pour empêcher une explosion d'actes dont on peut parfois douter de la pertinence?", s'interroge le syndicat.