Cette question est très intéressante, parce qu'elle permet des développements complexes, mais d'un grand intérêt didactique. Je vais essayer de faire bref, mais je sais bien que je n'y parviendrai pas...
1) Quelle est la VO2 du patient ?
On va commencer par ce que (presque) tout le monde sait (du moins, parmi les personnes qui s'intéressent au circuit à bas débit de gaz frais)... La VO2, c'est la consommation d'O2 de l'organisme. Nos tissus consomment de l'O2 (et produisent du CO2, qui est un déchet du métabolisme aérobie). Ne pas confondre la VO2 et la ventilation minute : si nous avons besoin de 6 L/min (valeur admise pour un adulte de 75 kg au repos) de ventilation, c'est surtout pour évacuer le CO2. Concernant l'O2, nous n'utilisons qu'une petite partie de l'O2 inspiré, puisque en air ambiant la FiO2 est voisine de 21 % mais l'air expiré contient 16 % d'O2.
Pour un individu donné, la VO2 dépend du métabolisme. Elle va donc diminuer en anesthésie, ou quand la température corporelle baisse, et augmenter au réveil, en cas d'augmentation de la température, et bien sûr à l'effort.
On entend souvent que la VO2, c'est 250 mL/min. En fait, cette valeur est admise pour un adulte de 75 kg et 1,80 m au repos. Les passionnés de sport savent qu'un individu entraîné peut avoir une VO2 maximale (la fameuse "VO2max") 10 à 20 fois supérieure à sa valeur de repos.
À noter que le frisson (qui est un effort musculaire) peut entraîner une consommation d'O2 équivalente à 2 à 4 fois la VO2 de repos.
On peut estimer la VO2 au repos par deux formules :
a)
VO2 (en mL/min)
= 10.P^(3/4) (10 fois le poids en kg élevé à la puissance 3/4)
Ça parait compliqué mais ça ne l'est pas. Soit un individu de 75 kg, vous élevez son poids au cube, 75 x 75 x 75 = 421 875
et vous cliquez deux fois de suite sur la touche "racine carrée" de votre calculette préférée, vous obtenez 25,48, que vous multipliez par 10, ce qui donne environ 250 mL/min.
J'ai abordé ce sujet dans un autre contexte (à propos du Zeus et de l'alarme "facteur de Brody").
Cliquer ici.
b)
VO2 = 125 mL/min/m2 de surface corporelle
La surface corporelle peut être estimée à partir du poids du patient :
SC = (4 P + 7)/(90 + P)
ou de façon plus précise avec le poids et la taille :
SC = (racine carrée (P x T))/6
Il existe des formules plus précises mais beaucoup plus complexes. Si on reprend notre individu de 75 kg et 1,80 m, sa surface corporelle sera estimée à 1,86 m2 avec la première formule et 1,94 m2 avec la deuxième (et 1,94 m2 avec la formule compliquée). Ce qui donne comme VO2 estimée entre 232 et 243 mL/min.
Vous allez vous dire "mais où veut-il en venir ?", j'y arrive. Prenons un individu de 1,50 m et 33 kg, sa VO2 peut être estimée à 140 mL/min. Sous anesthésie générale et en légère hypothermie, ce patient peut avoir une VO2 autour de 125 mL/min, et pourtant ça peut être un adulte (ou un enfant de 10 à 14 ans).
Prenons le cas inverse, si mon patient fait 2,05 m et 110 kg, s VO2 au repos sera de 340 mL/min. Avec un bon frisson, au réveil, il peut consommer 1 L/min d'O2.
Conclusion : Ne pas baser tous ses calculs sur une VO2 de 250 mL/min. Certains patients peuvent consommer beaucoup moins ou beaucoup plus.
2) Connaissant la VO2, le DGF (débit de gaz frais, en mL/min) et la FO2 du DGF, peut-on en déduire la FiO2 ?
La réponse est oui. Et oh miracle, on peut même faire le contraire : connaissant la FO2 du dgf et la FiO2 du patient, on peut en déduire la VO2. Mais ça nécessite quelques calculs et quelques explications.
Vous le constatez tous les jours si vous faites du circuit à bas débit de gaz frais, la FiO2 (c'est-à-dire la fraction d'O2 dans le gaz inspiré par le patient) n'est pas la même que celle du mélange de gaz frais.
À la mise sous respirateur, le circuit est souvent plein d'O2. Si on met par exemple 0,5 L/min d'O2 et O,5 L/min de N2O (soit une FO2 du DGF de 50 %), la FiO2 du patient va décroître lentement de 100 % à 40 % environ.
C'est là le principal problème du circuit à bas débit de gaz frais :
le patient va consommer une partie de l'O2, et on aboutira à une FiO2 inférieure à celle du DGF.
Estimer la FiO2 du patient (la fraction d'O2 contenue dans le circuit) à un instant t débouche sur des calculs assez complexes (mais si quelqu'un veut se lancer, je suis preneur...). Mais on peut estimer assez facilement vers quelle valeur cette FiO2 va tendre (c'est-à-dire se rapprocher petit à petit si rien ne change).
Pour se simplifier la vie, on va ajouter un mélange O2/N2 (anesthésie avec un mélange air/O2).
On peut pour simplifier considérer que tout se passe comme si une partie de l'O2 disparaît et est remplacée par une part (à peu près) équivalente de CO2. Or ce CO2 est piégé par la chaux sodée (et on va encore simplifier en oubliant que de la vapeur d'eau est produite). Bien entendu, l'azote (N2) entre et sort sans stockage et sans modification.
Au total, c'est comme si on ajoutait un mélange contenant tout l'azote mais uniquement l'O2 non consommé. Si on nomme FsO2 la fraction d'O2 du DGF et DGF le débit, on obtient :
FiO2 = ((FsO2 x DGF) - VO2)/(DGF - VO2)
Prenons un exemple : le dgf est de 1 L, la FsO2 à 50 %, la VO2 à 0,25 L/min (ah zut... J'ai écrit plus haut qu'il ne fallait pas baser tous ses calculs sur cette valeur... Bon, tant pis...).
FiO2 = (0,5 x 1 - 0,25)/(1 - 0,25) = 0,25/0,75 = 0,33
Donc si on apporte un dgf contenant 50 % d'O2, on aboutira à une FiO2 à 33 %. Avec les mêmes valeurs, si on veut obtenir une FiO2 à 0,5, il faudrait apporter un dgf contenant 62,5 % d'O2.
À noter que 250 mL/min de débit d'O2 n'est nullement une garantie de ne pas obtenir un mélange hypoxique, puisque le patient peut très bien avoir une VO2 supérieure à 250 mL/min.
Vous me direz "mais quel peut bien être l'intérêt d'apporter 0,5 L/min de dgf avec seulement 25 % d'O2 ?". Eh bien, partons de notre patient ventilé à FiO2 = 1 pendant l'induction, on le branche sous respirateur avec ce mélange. Au départ, le circuit ne contient que de l'O2. Si on s'est fixé 50 % d'objectif de FiO2 (et que la capacité du circuit est de 10 L), elle sera atteinte en 8 minutes (ne me demandez pas le détail du calcul, aucun homme n'est jamais assez fort pour ce calcul...).
Avec une FsO2 à 50 % (et toujours 0,5 L/min de dgf), il faudra 14 minutes. Il faudra 20 minutes avec une FsO2 à 60 %. Et avec une FsO2 à 62,5 % et 1 L de dgf, la FiO2 restera toujours supérieure à 0,5.
Donc
dans la phase qui suit la mise sous respirateur, on a tout intérêt à utiliser une FsO2 la plus basse possible pour atteindre rapidement la "FiO2 de croisière".
Et comme cela a été écrit plusieurs fois plus haut, le respirateur est un outil, à nous de l'utiliser au mieux pour obtenir ce qu'on désire pour le patient. Moins il y aura de bridages, mieux on pourra s'adapter à la diversité des situations (enfant, adulte de petit gabarit...).