SFAR a écrit :Afin d’évaluer l’évolution du contentieux lié à notre activité professionnelle d’anesthésiste réanimateur, nos assureurs éditent annuellement un rapport d’activité offrant un aperçu de la sinistralité des médecins et des établissements de santé. En l’absence de statistiques nationales, l’analyse de ces données nous apporte un éclairage sur le risque judiciaire que nous encourons.
Le groupe MACSF - Sou Médical assure 119 864 médecins (sur un total de 207 457 médecins recensés en activité en 2010 par l’INSEE) en responsabilité civile professionnelle et protection juridique, dont 75 183 médecins en activité libérale exclusive. La SHAM (Société Hospitalière d’Assurance Mutuelle) assure en responsabilité 5947 sociétaires dont 3966 personnes morales et 1981 personnes physiques, ce qui représente 60% des lits MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), 80% des établissements de santé (ES) publics et 27% des ES privés. Le rapport d’activité 2010 publié par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) et le Rapport au Parlement et au Gouvernement publié par la CNAMed (Commission Nationale des Accidents Médicaux) pour l’année 2009/2010 constituent également une source d’information sur le contentieux des médecins.
Tous ces rapports sont accessibles dans leur intégralité sur les différents sites internet: http://www.macsf.fr, http://www.sham.fr, http://www.oniam.fr, http://www.sante.gouv.fr.
Avant d’analyser les données disponibles sur l’évolution du contentieux des MAR, il convient d’insister sur une nouveauté dans la jurisprudence de 2010, avec un fort retentissement sur notre pratique quotidienne. L’arrêt de la Cour de Cassation du 03 juin 2010 mérite en effet d’être particulièrement signalé. Auparavant, le défaut d’information du médecin ne pouvait donner lieu à l’indemnisation du patient que s’il en résultait pour lui un préjudice consistant en la perte de chance d’éviter le risque qui s’est finalement réalisé. Désormais, le Cour de Cassation estime que « le non respect du devoir d’information cause à celui à qui l’information était légalement due, un préjudice que […] le juge ne peut laisser sans réparation ». Lorsqu’il est établi, le défaut d’information constitue donc un préjudice systématiquement indemnisable.
Nombre de déclarations
1831 déclarations de dommages corporels et 146 déclarations de dommages matériels ont été enregistrées par la MASCF - Sou Médical en 2010. Les 1831 déclarations comprennent 72 plaintes pénales, 174 plaintes ordinales, 364 assignations en référé (tribunal administratif / tribunal civil), 517 saisines de CRCI et 704 réclamations simples. La répartition des déclarations reste à peu près constante sur les années 2004-2010 et les réclamations simples restent à ce jour le mode contestataire le plus fréquent. Tout exercice confondu, la sinistralité annuelle est de 1.53 / 100 sociétaires ; ce taux est porté à 2.88% pour l’activité libérale exclusive. Même si la sinistralité des médecins, toutes spécialités confondues, est en hausse globale depuis 1986 (<1%/an/médecin) jusqu’à un pic à 2% en 2000, nous observons une diminution progressive sur les années 2008, 2009 et 2010.
Les 4841 médecins anesthésistes réanimateurs (MAR) assurés par la MASCF - Sou Médical totalisent 200 déclarations de dommages (10 plaintes pénales, 26 plaintes civiles, 7 ordinales, 64 saisines de CRCI et 93 réclamations simples). La sinistralité des MAR est donc de 18.2% en 2010 (versus 18% en 2009). A titre de comparaison, pour nos confrères d’autres spécialités, la sinistralité en 2009 était de 44%/an pour les chirurgiens, 14.3%/an pour les urgentistes et 1.1%/an pour les médecins généralistes. Notons que la sinistralité des MAR intervient sur tous les types d’activité (anesthésie générale, ALR, consultation pré anesthésique, soins pré opératoires, complications post opératoires), et durant tous les modes d’exercice (bloc opératoire, activité de garde, activité de réanimation). Plusieurs médecins sont fréquemment associés à un même sinistre.
Sur les 200 déclarations, la gravité du sinistre est très variable allant du bris dentaire (75 déclarations) au décès (26 déclarations). Les décès concernent des évènements pré opératoire (1), per opératoires (4), survenus en sspi (3), des complications post opératoires (10) directement liées ou non à l’acte chirurgical, ou encore à un évènement obstétrical (2) ou lié à l’activité de réanimation chirurgicale ou médicale (6). Les complications posturales et les troubles neurologiques au décours d’un acte d’ALR (centrale ou périphérique) sont classiques mais peu fréquents (respectivement 4 et 22 déclarations). Notons également l’existence de plaintes concernant la iatrogénie médicamenteuse (tendinopathie sous quinolone, syndrome vestibulaire après aminoside) ou des complications au décours d’un cathétérisme central (3) ou périphérique (2). Enfin, signalons que la déontologie est également présente dans les objets de déclarations (5) de même que l’activité d’expertise (2). Le délai entre la révélation du contentieux et l’acte de soin est également variable avec 1 plainte déposée 14 ans après les faits, pour analgésie insuffisante en cours de travail …).
Les médecins réanimateurs non anesthésistes et non cardiologues sont concernés par 8 déclarations (3 plaintes pénales, 1 civile, 2 CRCI et 2 réclamations simples). Fait peu fréquent, l’une d’elle est une mise en cause pour euthanasie active, comportement non compassionnel et divergence d’appréciation entre réanimateurs.
La SHAM, dans son panorama du risque médical des ES, rapporte 12 207 réclamations dont 10 218 pour les ES MCO. 57% des préjudices rapportés sont matériels, 43% corporels. Parmi ces derniers, 90% sont en rapports avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, 8% à la vie hospitalière et 2% à des dispositifs médicaux ou produits de santé (produits sanguins labiles, bistouri électrique, matériel de stérilisation, prothèse, cathéter …). Sur les 4695 déclarations de dommages corporels en rapport avec une activité de soin et émanant d’un ES, 58% sont directement rattachées au soin, 19% à une infection nosocomiale, 10% à une complication de l’intubation trachéale, 2% à l’anesthésie et 1% à l’information et au consentement. Ces mêmes déclarations émanent d’un service de chirurgie (67%), un SAU (13%), un service de médecine (11%) ou de réanimation (2%). LA SHAM constate une augmentation régulière du nombre de déclarations en responsabilité civile médicale, reflétée par l’évolution de l’Indice de Fréquence des Réclamations de 100 en 1998, à 118 en 2000 et 165 en 2010.
Décisions de justice prononcées en 2010
555 décisions de justice concernant au moins un sociétaire du Sou-Médical ont été prononcées en 2010. Elles intéressent 761 professionnels de santé dont 514 médecins mis en cause. Les spécialités les plus fréquemment mises en cause sont les chirurgiens (24.3%), les généralistes (16.0%), les obstétriciens (10.1%) et les anesthésistes réanimateurs (9.5%).
Actuellement, d’après les données du Sou-Médical, 59% des praticiens (et 57% des anesthésistes réanimateurs) mis en cause au tribunal sont condamnés, soit pour l’année 2010, 16 condamnations pénales sur 27 mises en cause et 435 condamnations civiles pour 736 mises en cause. Comme pour la sinistralité des médecins, malgré une augmentation croissante du taux de condamnation des praticiens depuis une trentaine d’année (33% dans les années 1980-1984, 37% sur la période 1990-1994, 50-53% sur 2002-2004), nous observons une baisse de ce pourcentage par rapport à la période 2007-2009 où le taux de condamnation était de 67-68%.
Le taux de condamnation civile est à peu près homogène sur les différentes spécialités médicales en notant toutefois un taux plus faible pour quelques spécialités médicales (gastrœntérologie / cardiologie : 40 à 50%). Pour la première année, les ophtalmologistes arrivent en tête avec un taux de condamnation de 64% (en raison de la chirurgie réfractive). Toujours pour les sociétaires du Sou-Médical, le coût global des indemnisations versées dans le cadre d’une décision de justice émanant du tribunal civil est de 49 334 810 €. Nous notons aux dépens des anesthésistes réanimateurs 12 sinistres > 100 000€, 3 sinistres > 500 000€ et 1 sinistre > 2 000 000€ (anoxie cérébrale per opératoire), ce qui témoigne de la gravité des accidents liés à notre activité. Le coût moyen d’un sinistre lié à l’anesthésie est de 250 538€. Pour mémoire, le sinistre le plus élevé chiffre à 4 912 660€ pour 2010 (versus plus de 7 millions d’€ pour 2009). Sur les 10 sinistres les plus élevés en indemnisation, 3 sont en rapport avec l’obstétrique et 2 avec l’anesthésie.
En juridiction pénale, 53% des décisions sont défavorables aux praticiens, ce qui correspond à un taux de condamnation des praticiens à 59%. Sur 3 anesthésistes mis en cause, 1 seul a été condamné. Les peines pénales prononcées sont un emprisonnement avec ou sans sursis (14 cas), une interdiction définitive d’exercice (1 cas) ou une amende (8 cas, jusqu’à 50 000 € pour 2010). Pour mémoire, les amendes sont non assurables et supportées par le praticien.
898 décisions de juridiction concernant les ES sont rapportées par la SHAM, avec une diminution de 12% par rapport à 2009. La responsabilité des établissements de soins est retenue dans 45% cas aussi bien en juridiction administrative que judiciaire. A ces 898 décisions de justice, il faut rattacher les nombreux dossiers clos avec règlement amiable ou absence de poursuite.
Activité des CRCI
249 demandes de conciliation et 4117 demandes d’indemnisation ont été déposées auprès des 7 pôles interrégionaux des CRCI en 2010. Depuis 2005, le nombre d’entrées dans le dispositif est en augmentation (+14% par rapport à 2009), ce qui témoigne du « succès » de ce mode de réclamation auprès des demandeurs. Plus de 25000 dossiers ont été traités depuis 2003. Le succès grandissant des saisines de CRCI aux dépens des assignations devant le tribunal est vraisemblablement en rapport avec la rapidité, la simplicité et la gratuité de la procédure CRCI. Le délai d’instruction des dossiers reste supérieur au délai légal de 6 mois (8,5 mois en 2010).
1003 demandes (24%) ont été rejetées avant expertise au fond (gravité inférieure au seuil, abandon de procédure, défaut de pièces, défaut de causalité). 28 pré expertises et 3948 expertises au fond ont été effectuées. Après expertise au fond, 54% des conclusions sont négatives (absence de proposition d’indemnisation). Elles concernent l’absence de lien de causalité (46%), une gravité insuffisante (33%) et l’absence de faute et/ou d’aléa (17%). 46% des conclusions sont positives (proposition d’indemnisation). Elles concernent une infection nosocomiale dans 22% des cas. L’indemnisation du préjudice est totale dans 72% cas et partielle en raison d’un état antérieur et/ou d’une perte de chance dans 28% cas. La proposition d’indemnisation relève de la responsabilité exclusive des acteurs de santé dans 48,7% des cas et de la seule solidarité nationale dans 49,3%. 60% des experts sollicités par les CRCI relèvent de la chirurgie, de la gynécologie obstétrique et de l’anesthésie réanimation.
Le montant moyen d’indemnisation proposé par l’ONIAM par dossier clos est de 79 392 €.
418 avis concernant les MAR assurés par la MACSF-Sou Médical ont été rendus par la CRCI en 2010. Un avis de rejet ou d’incompétence a été rendu dans 61% des cas. La CRCI a retenu dans son avis un aléa exclusif (21%), une faute exclusive (13%), une infection associée aux soins (3%) ou un partage faute / aléa (2%). Les juristes de la MACSF-Sou Médical relèvent un accroissement du nombre de rejets avant expertise au fond (probablement pour défaut de lien de causalité) contrastant avec l’augmentation régulière du nombre d’avis annuels rendus. L’assignation en justice, secondairement, peut avoir lieu, notamment en cas de non satisfaction des demandeurs.
La SHAM relève également une augmentation relative de la part des saisines CRCI sur l’ensemble des sinistres corporels. Le taux d’avis favorables aux ES est d’environ 80%.
En conclusion, la pression judiciaire effective sur les médecins anesthésistes réanimateurs semble se stabiliser depuis quelques années. Ce risque s’inscrit dans une société caractérisée par une aversion au risque, une exigence croissante de la part des patients et des associations d’usagers. Nous pouvons retenir la fréquence croissante des saisines de CRCI mais une plus grande clémence de ces dernières. Elles retiennent moins souvent la responsabilité des médecins, comparativement au tribunal. Il est fort probable que soient transmises aux juges prioritairement les demandes à forte probabilité de condamnation. A l’inverse, un sinistre probablement consécutif à un aléa sera plutôt orienté d’emblée vers une CRCI. Comme très justement souligné dans l’analyse de la MACSF, il convient de garder à l’esprit que les avis de CRCI incluent les avis d’incompétences alors que les condamnations judiciaires ne sont rapportées qu’aux seules affaires portées au fond. Les interruptions de procédures au stade du référé sont donc exclues.
Pierre Trouiller, Comité Analyse et Maîtrise du Risque, SFAR
Bilan du contentieux médical en A/R en 2010
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